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Le déclenchement systématique, une intervention anodine ?

Un survol rapide de la littérature scientifique, et la lecture de recommandations des sociétés savantes sur le déclenchement de l'accouchement au terme de la grossesse et en l'absence de signe clinique chez la mère ou l'enfant à naître, porte à croire que cette intervention serait à faible risque pourvu que certaines conditions (col favorable etc.) soient vérifiées. Toutefois, certains biais méthodologiques laissent penser que cette conclusion devrait être revue au cas par cas en fonction de critères laissés en arrière-plan.

Dans ce qui suit, nous nous limiterons à l'observation des taux de césariennes comme indicateur de risque. Il est évident que d'autres facteurs devraient être pris en compte - taux d'extractions instrumentales, état clinique du nouveau-né etc., sans oublier la satisfaction de la mère... - mais ces facteurs apparaissent de manière trop hétérogène dans les études et ne peuvent conduire qu'à des remarques ponctuelles.

Une analyse fine des risques et bénéfices du déclenchement sans indication médicale s'impose dans la mesure où cette pratique est très répandue en France. Selon une enquête nationale (Goffinet et al. 2003), le taux global de déclenchement de convenance sur l'ensemble des déclenchements inclus était de 24,8%. (...) Les raisons principales étaient la demande de la patiente (85,3%), l'éloignement du domicile (8,5%), l'organisation de la maternité (2,0%), autres raisons (4,2%). D'autre part, les pratiques dans le déclenchement du travail sont très disparates selon les régions, le statut et la taille des maternités. Comme en 1999, on retrouve une proportion plus importante de déclenchement de convenance par rapport aux déclenchements d'indication médicale dans les maternités à statut privé, alors que c'est le contraire en cas de statut public. Certaines pratiques ne sont pas en accord, 6 ans après, avec les recommandations issues de la conférence de consensus datant de 1995 (ibid.). Enfin, pour un taux de déclenchement compris entre 10 et 20% dans la maternité d'exercice, le taux de déclenchement de convenance est d'environ 20%; pour un taux de déclenchement supérieur à 30%, le taux de déclenchement de convenance est d'environ 50%. (Goffinet 1999 page 66)

À tous ces arguments qui parlent de la sécurité et du bien être de la mère et de l'enfant, s'ajoute un autre argument qui concerne cette fois l'équipe médicale : l'organisation de la salle de travail et la disponibilité du personnel médical (surtout les sages-femmes) vont en être facilitées. Il s'agit "d'optimiser l'organisation de la naissance" comme le dit le Docteur J. PETER. Mais ne s'agit-il pas également d'obtenir une vie mieux réglée et plus reposante ? Une politique de programmation bien menée va permettre une nouvelle répartition des accouchements dans la journée et dans la semaine. La qualité de vie des médecins et des sages-femmes, moins souvent debout la nuit, va en être améliorée et c'est sûrement un argument à prendre en compte. (Teurnier 1995)

À noter que les biais méthodologiques exposés ici ont déjà été signalés dans un article destiné au grand public (Goer 2002), ainsi que par d'autres auteurs dans la presse scientifique (Menticoglou & Hall 2002).


Remarque importante : Dans ce qui suit, nous utilisons comme définition de l'âge gestationnel le nombre de semaines d'aménorrhée (absence de règles) complètes. On considère comme grossesse à terme toute grossesse de 37 à 41 semaines, le terme théorique étant de 41 semaines complètes (soit 287 jours). Ces chiffres n'ont de sens que pour une date du terme théorique déterminée à l'échographie, par mesure de la longueur crânio-caudale du foetus, entre 11 semaines et 13 semaines + 6 jours. On parle de « terme dépassé » à partir de 42 semaines complètes (294 jours). Toutefois il convient de ne pas confondre le dépassement de terme et la postmaturité. Cette dernière est un état pathologique du foetus causé par un dysfonctionnement du placenta n'assurant plus son rôle d'échanges, de nutrition et d'oxygénation. Voir à ce sujet Lavillonnière (2006).


1) Des taux de césariennes élevés

Il est fréquent que des études prospectives concluant à une absence de différence significative des taux de césariennes entre un déclenchement de convenance et la surveillance sérielle du foetus avant 42 semaines d'aménorrhée affichent des taux nettement supérieurs aux moyennes nationales mesurées (ou estimées) à la même période dans le même pays.

Par exemple :

ÉtudeLieu et période d'observationTaux nationale gestationnelDéclenchementSurveillance
Gelisen et al.Turquie, 2003(à compléter)41 SA19 %22%
Chanrachakul & HerabutyaThaïlande, 1998-2000(à compléter)41 SA + 3 jours27%22%
Goeree et al.Canada, 199513%≥ 41 SA21%24%

Ces trois études ont été réalisées sur des populations mêlées de primipares et multipares.

Ces taux de césariennes élevés posent le problème de la gestion du travail par les équipes obstétricales. En effet, il s'agit de grossesses à faibles risques, à terme et ne présentant aucun signe clinique, pour lesquelles les taux devraient être sensiblement inférieurs aux moyennes. Goer (2002) conteste le fait que ces taux soient interprétés comme des complications liées au mode d'accouchement, alors qu'ils sont surtout opérateur-dépendants. Cette dépendance est étudiée quantitativement dans l'étude d'Oppenheimer et al. (1992), voir ci-dessous (4.5).

2) Disparité avec les données de l'AUDIPOG

Les données de l'AUDIPOG, qui reflètent les moyennes nationales en France, nous permettent d'observer à grande échelle les différences de taux de césariennes entre les femmes qui ont eu un début de travail spontané et celles qui ont été déclenchées. Le tableau ci-dessous est extrait de requêtes sur l'ensemble des données AUDIPOG entre 1999 et 2005, grossesses primipares non-gémellaires, comparant les femmes qui ont accouché spontanément (TS) avec celles qui ont été déclenchées (DA), pour 39, 40 et 41 semaines d'aménorrhée.

Mode d'accouchement39 SA - TS39 SA - DA40 SA - TS40 SA - DA41 SA - TS41 SA - DA
Voie basse spontanée71,05%54,52%64,87%49,36%58,20%43,79%
Intervention voie basse (instrum. ou manoeuvre)21,69%27,34%24,97%27,17%28,11%27,69%
=> Césarienne pendant le travail6,84%16,89%9,54%21,67%13,22%25,69%
Césarienne programmée faite pendant le travail0,33%0,65%0,53%1,00%0,35%1,44%
Césarienne programmée faite avant le travail0,01%0,12%0,04%0,29%0,04%0,46%
Césarienne avant le travail en urgence0,09%0,49%0,05%0,51%0,09%0,92%

Ce tableau fait apparaître un doublement des taux de césariennes pendant le travail pour les accouchements déclenchés de 39 à 41 semaines. Toutefois, il comprend les déclenchements pour raisons médicales et les déclenchements de convenance. Pour ces derniers, le respect de la condition de maturité du col (score de Bishop ≥ 7) diminue considérablement le risque de césarienne. Il reste que, dans la mesure où 95% des femmes qui atteignent 41 semaines avec un col favorable accouchent dans la semaine qui suit (voir par exemple Chanrachakul & Herabutya 2003, figure 1 page 156), cette requête est susceptible d'éclairer les décisions des femmes placées devant le choix d'un déclenchement de convenance à 41 semaines.

Réserves : Il semble que la variable « souffrance foetale » ne soit pas renseignée correctement dans les dossiers. En effet, elle influerait de manière insignifiante sur les déclenchements.

3) L'intention de déclencher n'est pas le déclenchement...

L'étude prospective de Roach & Rogers (1997) porte sur la comparaison entre déclenchement et surveillance sérielle pour un « terme dépassé », autrement dit à partir de 42 semaines (294 jours). Les femmes du groupe observé ont toutes accouché entre 294 et 321 jours avec une médiane de 298.5 jours. Elle aboutit à des taux de césariennes présumément comparables à la moyenne nationale : 16.7% pour le déclenchement et 17.1% pour la surveillance sérielle.

Le résumé de l'étude affirme : « Au-delà de 42 semaines, les taux de césariennes et d'incidence de méconium au-dessous des cordes vocales [du nouveau-né] étaient plus élevés chez les patientes sous surveillance sérielle » et en tire la conclusion que le déclenchement est préférable dans ce cas.

Cette conclusion est biaisée par la méthodologie de l'étude. En effet, la variable d'observation est l'intention de déclencher et non le déclenchement. Une analyse du protocole expérimental permet de clarifier cette distinction et son incidence sur les résultats. 472 femmes ont été recrutées à 41 semaines de gestation dans une population à faible risque. À la 42e semaine, les 201 patientes qui n'avaient pas encore accouché ont été orientées par tirage au sort, soit vers un « déclenchement immédiat », soit vers la poursuite de la grossesse sous surveillance. Le premier groupe (96 femmes) est étiqueté « déclenchement » et le second (105 femmes) « surveillance ».

C'est sur ces deux groupes que l'on a mesuré des taux respectifs de 16.6% et 17.1% de césariennes, pour conclure à un bénéfice du déclenchement. Or, parmi les 96 femmes « randomisées » au déclenchement, 17 ont accouché spontanément la nuit précédant le déclenchement. Aucune de ces 17 femmes n'a subi de césarienne. Parmi les 105 femmes randomisées à la surveillance, 12 ont dû être déclenchées plus tard, à leur demande pour 4 d'entre elles, ou à l'apparition de signes cliniques pour les 8 autres. Le tableau ci-dessous résume le devenir des patientes au cours de l'expérimentation :

Groupe« Déclenchement » (96)« Surveillance » (105)
Mode d'accouchementSpontané (17)Déclenchement (79)Spontané (93)Déclenchement (12)
Nbre de césariennes016144
Méconium410

Note : L'avant-dernière ligne du tableau n'est pas directement tirée de l'organigramme (page 21). Le nombre de césariennes dans le groupe « Déclenchement » est en effet déduit de la phrase (page 22) : Amongst the patients who underwent induction because of randomization (i.e. in the absence of any other obstetric indication) the cesarean section rate was 20.3%. Ce qui donne 16 césariennes parmi les 79 femmes concernées, autrement dit la totalité des césariennes du groupe « Déclenchement ».

Si l'étude devait répondre à la question posée dans le cadre des recommandations de pratique clinique, à savoir l'effet sur le taux de césariennes du déclenchement - et non de l'intention de déclencher - à 42 semaines en l'absence de signes cliniques, les taux devraient être répartis ainsi :

  • 16 césariennes pour 79 femmes réellement déclenchées à 42 semaines, ce qui donne un taux de 20%
  • 18 césariennes pour 105 femmes non déclenchées (ou déclenchées pour raisons médicales ou suite à décision personnelle après le tirage au sort), soit un taux de 17%
=> La balance bénéfice/risque penche donc, contrairement à ce que dit le résumé de cette étude, dans le sens d'un risque accru pour les femmes qui choisissent un déclenchement plutôt qu'une surveillance sérielle.

Il est possible que le même biais ait affecté l'interprétation des chiffres pour ce qui concerne le nombre de nouveau-nés ayant eu du méconium au-dessous des cordes vocales. En effet, l'article ne donne aucune indication de la répartition des 4 cas dans le groupe « Déclenchement ». Par conséquent il n'est pas correct de prendre en compte cette variable dans un référentiel supposé répondre à la question du risque/bénéfice du déclenchement.

Ce biais est-il observé dans d'autres études ?

Bien qu'il soit exagéré de généraliser les résultats d'une étude portant sur un relativement faible nombre de cas, il est indispensable de vérifier si le même biais méthodologique se retrouve dans les autres études prospectives randomisées susceptibles de fournir une évaluation du risque/bénéfice d'un déclenchement de convenance. Dans les cas où ce biais est présent, repartir des chiffres bruts, chaque fois que possible, pour déterminer l'incidence réelle du déclenchement dans ces conditions.

Dans l'étude de Hannah et al. (1992), 31% des femmes placées dans le groupe « déclenchement » à 41 semaines d'aménorrhée ont accouché spontanément, tandis que 34% de celles du groupe « surveillance » ont été déclenchées. L'étude ne donne donc qu'une évaluation des risques de l'intention de déclencher par rapport à la surveillance sérielle, avec 21.2% de césariennes dans le premier groupe et 24.5% dans le second. Si l'on refait les calculs en se basant sur le mode d'accouchement réel, on obtient 29% de césariennes parmi les femmes réellement déclenchées et seulement 16% parmi celles qui ont accouché spontanément (Menticoglu & Hall 2002). Ici encore, le biais renverse la balance bénéfice-risque en faveur du déclenchement ; or cette étude a fortement influencé les Clinical Practice Guidelines de la SOGC en 1997.

L'étude de Chanrachakul & Herabutya (2003) porte sur 249 femmes à 41 semaines d'aménorrhée. Le tirage au sort en a placé 124 dans le groupe « déclenchement » et 125 dans le groupe « surveillance ». Les déclenchements ayant été réalisés le jour même du tirage au sort, aucune femme n'a accouché spontanément avant l'intervention. Le résultat est un taux de césariennes de 27% pour le groupe « déclenchement » et 22% pour le groupe « surveillance ». Bien que ces taux soient significativement différents, avec un risque accru après déclenchement, le résumé affirme : « The cesarean rate was not different between expectant management and immediate induction ».

Dans l'étude de Goeree et al. (1995), le tirage au sort a placé 1701 femmes dans le groupe « déclenchement » et 1706 dans le groupe « surveillance ». L'article ne précise pas combien de femmes du groupe « déclenchement » ont accouché spontanément avant l'intervention. Or il est vraisemblable que le biais soit encore plus marqué que dans l'étude de Roach & Rogers (1997) puisque le délai entre tirage au sort et intervention a été de 4 jours. Ici encore, ce biais pourrait expliquer que les taux de césariennes soit moins élevé (21.2%) pour le groupe « déclenchement » que pour le groupe « surveillance » (24.5%). Il serait très important de connaître le détail des nombres de césariennes en fonction des accouchements réellement déclenchés versus spontanés car cette étude à grande échelle a un poids prépondérant dans la méta-analyse Cochrane (Gulmezoglu et al. 2007) et fait pencher la balance en faveur d'une apparence de non-augmentation du risque de césarienne en cas de déclenchement, sur laquelle s'appuient nombre de professionnels. (Cette étude s'efforce principalement de montrer que le coût du déclenchement est moindre que celui de la surveillance sérielle.)

Dans l'étude de Gelisen et al. (2003), le biais n'est pas observé puisque toutes les femmes du groupe « déclenchement » ont réellement subi cette intervention. Le tirage au sort a placé 300 femmes dans le groupe « déclenchement » et 300 dans le groupe « surveillance ». Trois méthodes de déclenchement ont été testées, chacune pour un groupe de 100 femmes désignées au sort : misoprostol (50µg) toutes les 6 heures avec césarienne en cas d'échec au bout de 24 heures, ocytocine, et ballon de Foley plus ocytocine. (En réalité, l'objectif de cette étude était de comparer ces trois techniques de déclenchement, le groupe « surveillance » n'étant qu'un groupe témoin.) Les taux de césariennes résultants sont sensiblement les mêmes : 19.3% dans le groupe « déclenchement » et 22% dans le groupe « surveillance ». Néanmoins, seules 193 femmes du groupe « surveillance » ont réellement accouché spontanément ; 34 ont été déclenchées sur signes cliniques, et 73 ont été déclenchées systématiquement à 42 SA. Malheureusement les auteurs ne donnent pas le détail des nombres de césariennes pour ces trois sous-groupes du groupe surveillance. Les auteurs ont placé à part les césariennes causées par une anomalie du rythme cardiaque foetal (RCF), qui étaient « significativement plus nombreuses dans le groupe ocytocine que dans le groupe témoin » (page 167). Les résultats cumulés sont les suivants (d'après le tableau 4, page 168) :

VariableGroupe « déclenchement »Groupe « surveillance »p
Taux de césariennes19.3%22%0.4
Taux de césariennes pour problème RCF10.3%8%0.3

Dans l'étude de Bréart et al. (1982), 481 femmes étaient dans le bras « Intention de déclencher » mais seulement 173 l'ont été effectivement. Les autres ont accouché avant la date prévue de l'accouchement, ou bien n'ont pas été d'accord finalement, ou enfin n'ont pas été déclenchées car leur col a été jugé défavorable. On aboutit à 35% de déclenchements effectifs dans le bras déclenchement, alors que l'article conclut à l'inocuité de celui-ci.

4) La gestion du travail

Comme nous l'avons signalé en (1), la disparité entre les taux de césariennes mesurés dans les études et ceux des moyennes nationales nous conduit à questionner plus particulièrement la gestion du travail dans les groupes « déclenchement » et « surveillance ».

4.1) Déclenchements contestables dans le groupe « surveillance »

Dans l'étude de Gelisen et al. (2003), toutes les femmes qui n'avaient pas accouché à 42 semaines ont été déclenchées au misoprostol, puis ont subi une césarienne en cas d'échec du déclenchement. Or elles étaient dans la même situation que les patientes de l'étude de Roach & Rogers (1997) pour lesquelles nous avons montré que le protocole de « surveillance » aurait été avantageux.

L'étude de Chakravarti & Goenka (2000) a comparé un groupe 114 femmes dont l'accouchement a été declenché à 41 SA, et un groupe expectative de 117 femmes. Toutes les femmes du groupe « déclenchement » ont effectivement été déclenchées. Par contre seules 54 femmes du groupe « surveillance » ont accouché spontanément, les 63 autres ayant été déclenchées systématiquement à 42 SA. Les taux de césariennes du groupe déclenchement et surveillance sont de 25% et 16% respectivement, d'où les auteurs concluent que l'on peut raisonnablement attendre 42 SA. Si l'on considère l'ensemble des 177 femmes dont l'accouchement a été déclenché, le taux de césariennes est de 24% tandis qu'il n'est que de 13% pour les femmes ayant accouché spontanément.

Menticoglou & Hall (2002) signalent que, dans l'étude de Hannah et al. (1992) citée en référence pour les Clinical Practice Guidelines de la SOGC au Canada (en 1997), 34% des femmes du groupe « surveillance » ont eu un déclenchement, mais seulement 17% pour fetal compromise, ce terme générique n'étant pas défini clairement (page 487). Ils ajoutent (ibid.) : « Étant donné que le risque réel - en contraste avec le risque perçu - de mort d'un foetus entre 41 et 42 semaines en l'absence de monitoring est seulement de 0.1%, il est très peu probable que ces 17% de foetus [...] aient été véritablement en danger. »

4.2) Pas d'étude en aveugle

Les équipes obstétricales sont parfaitement informées du type de déclenchement qu'a subi une patiente ou de son appartenance au groupe « surveillance ». Bien que Chanrachakul & Herabutya (2003) affirment (page 155) « Intrapartum management was the same for both groups », ils auraient dû préciser, comme Gelisen et al. (2003), « Staff members in charge of labor were not blinded to the type of medication used for induction ». En effet, les déclenchements étaient faits par ce même personnel... Il s'ensuit que rien ne peut garantit que les équipes obstétricales gèrent de la même manière les accouchements des femmes des deux groupes, particulièrement pour ce qui concerne l'estimation de la progression du travail et le diagnostic de dystocie - voir ci-dessous (4.5).

4.3) Usage de la péridurale

Aucune des études citées ne nous renseigne sur l'usage de l'analgésie péridurale. Or la pratique du déclenchement entraîne des contractions de forte intensité, souvent douloureuses, qui entraînent la mise en place d'une péridurale, limitant les possibilités de mouvements et susceptibles d'entraîner une extraction instrumentale.

4.4) Gestion du travail « spontané »

La majorité des études ne disent rien sur la gestion du travail des femmes classées dans le groupe « surveillance ». Or, si elles sont soumises aux pratiques de routine des équipes médicalisées (amniotomie et accélération du travail) il n'y a guère de différence entre ce travail « spontané » et un déclenchement sur col favorable.

4.5) Une mesure du biais

L'étude rétrospective d'Oppenheimer et al. (2007) donne des indications claires pour une évaluation du biais sur la gestion du travail. Elle montre que les recommandations de pratique (publiées en 1995) de la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada (SOGC) pour ce qui concerne la gestion des dystocies ont été respectées dans 77.5% des accouchements déclenchés et seulement 47.7% des accouchements spontanés. D'autre part, la violation de ces recommandations est plus fréquente (10.8%) dans le groupe de médecins ayant le plus fort taux de césariennes que dans celui ayant le plus faible taux (6.6%).

Cette étude nous renseigne sur deux points :

  • Les médecins sont plus interventionnistes dans le cas d'un accouchement spontané qu'après un déclenchement, et cela très nettement pour ce qui concerne l'accélération du travail (tableau 3 page 273) ;
  • La violation des recommandations est partiellement responsable de la différence des taux de césariennes, bien qu'elle ne l'explique pas entièrement (discussion page 273). « La relation entre les préférences personnelles d'un médecin, autrement dit son style de pratique, et ses taux de césariennes, est d'une grande complexité. Guillemette et Fraser [...] ont aussi comparé des obstétriciens dont les taux de césariennes sont élevés et faibles. Ces auteurs n'ont pas pu expliquer les différences de taux par des différences de gestion de la première phase du travail, bien qu'ils aient constaté que l'amniotomie [rupture de la poche des eaux] soit pratiquée plus tôt dans le groupe à taux élevé. Poma [...] a trouvé que l'accélération du travail était plus fréquente chez les médecins à forts taux de césariennes, alors que l'étude Green Bay [...] sur la césarienne a trouvé le contraire. »

Un dernier point : à l'hôpital d'Ottawa, d'où ces données ont été extraites pour la période 1996-1999, on comptait une moyenne de 17.2% de césariennes. Dans le groupe « faible risque » de 2741 femmes nullipares qui ont fait l'objet de l'étude, la moyenne était de 10.1% se répartissant en 13.5% chez celles qui avaient été déclenchées et 5.4% chez celles qui accouchaient spontanément. Le rapprochement de ce chiffres avec ceux des études prospectives citées en début d'article est lourd de signification.

5) L'importance du score de Bishop

Le score de Bishop est une évaluation quantitativé de la maturité du col (voir détails). Les études montrent qu'un faible score de Bishop (typiquement < 5) est un important facteur de risque de césarienne pour le déclenchement. Par exemple, pour les déclenchements sur indication médicale, l'enquête de Goffinet et al. (2003) donne les résultats suivants :

Score de BishopTaux de césariennes
0-326,5%
4-514,5%
6-138%

On peut donc anticiper que cette variable ait une forte incidence sur les taux de césariennes dans tous les cas de déclenchement. C'est notamment ce que montre l'étude prospective de cohorte de Vrouenraets et al. (2005), qui porte sur les accouchements à partir de 37 SA (dont un tiers au-delà de 42 SA) de 1389 femmes primipares (premier accouchement) admises dans des hôpitaux des Pays-Bas. Les taux « bruts » de césariennes sont de 12.0% pour les 765 femmes ayant accouché spontanément, 23.4% pour celles (435) ayant eu un déclenchement pour raisons médicales, et 23.8% pour celles (189) qui ont opté pour un déclenchement de convenance. Toutefois, dans ces trois groupes réunis, les taux de césariennes étaient de 25% pour les femmes qui avaient un score de Bishop inférieur ou égal à 5, de 13.6% pour un score compris entre 6 et 8, et seulement de 6.2% pour un score supérieur ou égal à 9. En introduisant le score de Bishop comme covariable supplémentaire, la différence entre les taux de césariennes des trois groupes devenait insignifiante : le facteur de risque par rapport à l'accouchement spontané (Odd Ratio) de la césarienne n'était plus que 1.35 (0.87-2.11 à 95% CI) pour le déclenchement pour raison médicale et de 1.23 (0.75-2.02 à 95% CI) pour le déclenchement de convenance. Avec un score de Bishop inférieur ou égal à 5, le risque de césarienne est multiplié par 2.32 (1.66-3.25 à 95% CI).

C'est ce genre de résultat qui conduit de nombreux commentateurs à affirmer que le déclenchement de convenance ne présenterait pas de risque particulier sous réserve qu'il soit pratiqué sur un col mûr (score de Bishop ≥ 7). Il n'est pas inutile de rappeler qu'une grossesse à terme avec un tel score est l'indication d'un accouchement imminent, de sorte que l'utilité même (pour la future mère) d'un accouchement de convenance dans ces conditions peut être mise en doute... De plus, le tableau 4 de cette étude (page 694) donne des précisions utiles sur les facteurs de risques indépendants de césarienne (après ajustement au score de Bishop), notamment :

  • Le risque de césarienne est multiplié par 1.59 (1.10-2.30) pour les femmes de 30 à 34 ans, et par 2.37 (1.50-3.76) pour celles de plus de 35 ans, par rapport à celles de 25 à 29 ans. Il est plus faible pour les plus jeunes, 0.54 (0.31-0.94) pour les 20 à 24 ans et 0.24 (0.05-1.07) pour les moins de 19 ans.
  • Le risque de césarienne augmente considérablement avec l'index de masse corporelle. Il est mutiplié par 1.26 (0.80-1.99) pour un index compris entre 26 et 30, et par 2.87 (1.84-4.48) pour un index supérieur ou égal à 31, par rapport à un index inférieur ou égal à 25.
  • Le risque de césarienne augmente considérablement avec la péridurale, et d'autant plus que celle-ci est appliqué tôt. Il est multiplié par 3.63 (2.06-6.40) si la péridurale est appliquée à moins de 4cm de dilatation, et par 2.25 (1.34-3.43) dans le cas inverse. Or la péridurale est difficilement évitable après un déclenchement, en raison de l'intensité des contractions utérines.
  • Le risque de césarienne est fortement corrélé au poids du bébé à la naissance. Par rapport à un poids compris entre 3 et 3.5kg, il est multiplié par 1.51 (0.92-2.46) pour un poids compris entre 2.5 et 3kg, et par 1.33 (0.53-3.36) pour un poids inférieur à 2.5 kg. Il est multiplié par 2.38 (1.45-3.91) pour un poids de 3.5 à 4kg, et par 2.38 (1.45-3.91) pour un poids supérieur à 4kg.

Pour toutes ces raisons, les auteurs recommandent, non seulement d'éviter le déclenchement de convenance sur un col défavorable, mais aussi de nuancer la décison en tenant compte des facteurs susceptibles d'augmenter le risque de césarienne (page 696) :

In summary, the present study emphasizes that both medical and elective induction of labor in nulliparous women at term with a single fetus in cephalic presentation is associated with an increased risk of cesarean delivery, predominantly related to an unfavorable Bishop score. Whereas induction for medical indications is often inevitable, induction for elective reasons should be discouraged in the case of an unripe Bishop score. This is especially true for older women (≥ 30 years), those with a high BMI (≥ 31), and those with an estimated birth weight of 3,500g or higher. The combination of several risk factors leads to a considerably increased risk of cesarean delivery, which is associated with increased need for blood transfusion and more frequent neonatal care. In addition, the hospital stay is longer.


Conclusion

Il est possible d'invoquer le principe de précaution pour recommander un déclenchement systématique au-delà d'un certain âge gestationnel en l'absence de signes cliniques, sachant que (1) l'estimation du terme reste imprécise et (2) on ne dispose pas encore de technique infaillible de diagnostic de la postmaturité. Mais ce même principe de précaution devrait prévaloir en ce qui concerne le déclenchement de convenance : si celui-ci présente des risques (évalués) pour la mère et d'autres (non évalués) pour l'enfant, le bénéfice au-delà de 39 semaines d'aménorrhée avec un score de Bishop ≥ 7 est relativement faible, car dans ces conditions l'accouchement spontané est imminent. Cette information devrait faire partie intégrante de la discussion entre professionnels et femmes enceintes, suite à une demande de déclenchement.


Recommandations (RPC de la HAS)

Recommandations, argumentaire scientifique, fiche de synthèse et diaporama de la recommandation professionnelle en ligne sur le site de la HAS : suivre ce lien


Références


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