Grippe H1N1 : éléments d'informations

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Communications entre le Ciane et le CNGOF

7 septembre 2009. Cécile Loup, pour le Ciane et l'AFAR, interroge le Collège national des gynécologues obstétriciens français (CNGOF)

Bonjour,

Je viens de lire avec beaucoup d'interêt la page sur la grippe H1N1 et la grossesse.

Suivant le communiqué de l'OMS vous recommandez la prescription d'un antiviral dès le début de symptomes grippaux, avec arrêt éventuel si il ne s'agit pas finalement du H1N1. Vous recommandez le zanamivir sauf certaines contre-indications. Il me reste quelques questions sans réponse sur la page web, en espérant que certains d'entre-vous pourront y répondre.

1) Les complications pulmonaires graves chez les femmes enceintes en bonne santé apparaissent surtout au troisième trimestre de la grossesse (compression). Existe-t-il des études qui démontrent que la prise d'un antiviral dès le début des symptomes diminue le taux de détresses respiratoire aigue chez les femmes enceintes de 5 mois et plus ? Autrement dit, quel est le bénéfice ?

2) Pourquoi recommandez-vous le zanamivir alors que d'autres médecins dans d'autres pays recommandent l'oseltamivir (dont les japonais dans le CMAJ) ? Ces derniers recommandent l'oseltamivir car il y aurait plus de données chez les femmes enceintes. En réalité il y a très peu de données pour les deux substances, et surtout rien pour le 2e et 3e trimestre de grossesse. Le seul effet secondaire reconnu du zanamivir est le bronchospasme. On peut supposer que cela n'induit pas d'effet secondaire sur le foetus. Inversement, l'oseltamivir a des effets adverses sur les enfants et n'est pas recommandé pour les nourrissons. Dans le doute on serait tenté de ne pas le prescrire aux femmes enceintes à cause d'effet neurologiques potentiels sur le foetus. Est-ce pour cette raison que le CNGOF a choisi le zanamivir, ou avez-vous d'autres arguments ?

3) Le risque de complication chez les femmes enceintes est aussi vrai pour la grippe saisonnière, et connu. Pour autant que je sache, il n' a jamais été recommandé jusqu'à présent de vacciner des femmes enceintes, ni de leur prescrire un antiviral (à moins que je fasse erreur). Pourquoi alors s'emballer à ce point pour la grippe A ?

Le risque augmenté pour les femmes en fin de grossesse est hélas réel. D'un autre côté on a aucune donnée des effets secondaires des antiviraux sur cette population particulièrement à risque. Les risques tératogènes en début de grossesse sont également en réalité mal connus. C'est d'ailleurs pourquoi tout le monde recommande de suivre de très près les effets adverses.

J'avoue que je suis sceptique et assez inquiète. Comment peut-on peser la balance bénéfice-risque dans une situation où les risques sont presque totalement inconnus ? N'est-ce pas prendre un risque énorme de traiter systématiquement ,alors que malgré tout, même chez les femmes enceintes, cette grippe est le plus souvent de peu de gravité ?

Cécile Loup

Pr. de l'AFAR (http://afar.naissance.asso.fr/) CA du CIANE (http://wiki.naissance.asso.fr/)

Réponse du CNGOF


Message transféré ----------

De : CNGOF <cngof(arobase)club-internet.fr> Date : 23 septembre 2009 18:28 Objet : Grippe A et femmes enceintes À : cecile.loup

Madame,

Nous vous remercions d'avoir lu attentivement le document « grippe et femme enceinte » que nous avons mis en ligne en août 2009.

Ce document a évolué depuis car nous l'avons retravaillé avec les infectiologues, les anesthésistes, la Société de médecine périnatale et les pharmacologues. Vous trouverez ci-joint le nouveau document, qui inclut les recommandations de vaccinations du Haut comité de santé publique parues que nous attendions [1].

Certes, beaucoup de questions n'ont pas à ce jour de réponses claires. Nous vous prions cependant de trouver ci-dessous celles que nous pouvons faire à vos interrogations :

1) Les complications pulmonaires graves chez les femmes enceintes en bonne santé apparaissent surtout au troisième trimestre de la grossesse (compression). Existe-t-il des études qui démontrent que la prise d'un antiviral dès le début des symptômes diminue le taux de détresse respiratoire aiguë chez les femmes enceintes de 5 mois et plus ? Autrement dit, quel est le bénéfice ?

Il n'y a effectivement pas d'études, mais dans la publication du Lancet [2] les femmes enceintes décédées ont toutes eu un traitement tardif et jamais dans les 48 premières heures.

2) Pourquoi recommandez-vous le zanamivir alors que d'autres médecins dans d'autres pays recommandent l'oseltamivir (dont les japonais dans le CMAJ) ?

Nous sommes d'accord avec vous pour reconnaître qu'il y a très peu de données pour les deux molécules. Les recommandations que nous faisons sont celles de l'AFSSAPS et du ministère [3] . Voici ce que nous écrivons dans la nouvelle version du document :

Le traitement prophylactique par l'oseltamivir (Tamiflu®) à la dose de 75mg par jour soit une gélule par jour pendant 10 jours, ou le zanamivir (Relenza®) à la dose de 2 inhalations (2 x 5 mg) une fois par jour pendant dix jours, peut être prescrit, quel que soit le trimestre de grossesse et la présence ou non de facteurs de risque.

Toutefois, on rappelle que le zanamivir, compte tenu de son mode d'administration par voie inhalée :

  • peut poser problème s'il est utilisé par des personnes ayant des

difficultés de compréhension et pour lesquelles on ne peut garantir une certaine observance au traitement (avis du Conseil supérieur d'Hygiène publique de France (CSHPF), 16 février 2004) ;

  • peut être source de complications respiratoires (bronchospasmes,

détériorations parfois aiguës de la fonction respiratoire). De ce fait, l'oseltamivir (Tamiflu®) devra être préféré chez les patients asthmatiques ou atteints de broncho-pneumopathie chronique obstructive (BPCO) ;

  • enfin n'est disponible que dans les hôpitaux alors que

l'oseltamivir (Tamiflu®) est en vente en officine de ville.

3) Le risque de complication chez les femmes enceintes est aussi vrai pour la grippe saisonnière, et connu. Pour autant que je sache, il n'a jamais été recommandé jusqu'à présent de vacciner des femmes enceintes, ni de leur prescrire un antiviral (à moins que je fasse erreur). Pourquoi alors s'emballer à ce point pour la grippe A ?

Effectivement, le risque chez les femmes enceintes est aussi vrai pour la grippe saisonnière. Certains pays recommandent cependant la vaccination des femmes enceintes contre la grippe saisonnière [4]. Le CNGOF avait posé la question au Comité national des vaccinations il y a plusieurs années et cette indication n'avait pas été retenue, mais elle est sans doute à revoir.

Pour la grippe A, qui touche les sujets jeunes, il a été observé des formes graves. Outre les cas publiés aux USA [2], il y a eu à notre connaissance 5 femmes enceintes atteintes de pneumopathie à Nouméa,17 à Tahiti -dont 3 en réanimation, et à la Réunion 105 femmes enceintes ont été hospitalisées dont 2 en réanimation. Une femme enceinte sans facteur de risque de gravité de la grippe (personnel navigant) est décédée à Tahiti. Ces données nous paraissent témoigner d'une plus grande sévérité que la grippe saisonnière habituelle, et justifient une certaine prudence.

Nous sommes d'accord avec vous pour dire que les risques tératogènes du virus sont mal connus, de même que les effets des médicaments voire du vaccin. C'est pourquoi, avec les infectiologues et les anesthésistes, nous mettons en place une base de données concernant les femmes enceintes grippées et que l'INSERM se propose de suivre en région parisienne une cohorte de 2000 femmes enceintes grippées.

4) Comment peut-on peser la balance bénéfice-risque dans une situation où les risques sont presque totalement inconnus ? N'est-ce pas prendre un risque énorme de traiter systématiquement alors que malgré tout, même chez les femmes enceintes, cette grippe est le plus souvent de peu de gravité ?

Certes la grande majorité des cas est heureusement sans gravité. On peut espérer que la vaccination rendra cette grippe moins grave encore mais nous ne savons pas d'avance si telle ou telle femme enceinte non vaccinée ne fera pas une forme pulmonaire grave. Faut-il prendre le risque de ne rien faire ? Il y aura en principe peu de femmes à traiter si les femmes enceintes sont vaccinées.

Nous n'avions pas parlé de vaccination dans le papier que vous avez lu puisque nous ne pouvions pas anticiper la position du Haut conseil de la santé publique. Mais nous avons inclut un chapitre dans la nouvelle version.

Nous restons à votre disposition pour discuter de cette difficile question.

J. Lansac, D. Luton, S. Matheron

CNGOF

Collège national des gynécologues et obstétriciens français

www.cngof.org

Références

1. Haut Conseil de santé Publique : recommandations sur les priorités sanitaires d'utilisation des vaccins pandémiques dirigés contre le virus grippal A(H1N1). http://www.hcsp.fr/explore.cgi/avisrapports?ae=avisrapports&menu=09

2. Jamieson DJ, Honein MA, Rasmussen SA, et al. H1N1 2009 influenza virus infection during pregnancy in the USA. Lancet 2009;374:451-8.

3. Ministère de la santé, Comité de lutte contre la grippe. Fiche pratique d'utilisation des antiviraux en extrahospitalier et en période pandémique (Recommandations du Comité de lutte contre la grippe du 17 août 2009).

http://www.sante-sports.gouv.fr/grippe/prise-charge-vos-patients/prise-charge-vos-patients.html

4. ACOG. Influenza vaccination and treatment during pregnancy Obstet Gynecol 2004;104:1125-1126. .,.__''