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Les sages-femmes s'inquiètent des dangers d'internet

C'est le titre d'un court article (par Laure Pelé, rubrique Société) paru dans Le Parisien le 4 février 2008, écrit à l'occasion d'une intervention lors des 6e Journées du Collège National des Sages-Femmes (Paris 4-5 février 2008) sur le thème : "Internet pour la femme enceinte ?"\\ http://www.cnsf.asso.fr/6emejourneepages1.html

Certaines formulations dans l'article de presse peuvent laisser perplexe, en particulier : "Sauf qu'elles [les femmes enceintes] en usent et abusent [d'internet]... Au point d'alerter sages-femmes et gynécologues qui, quotidiennement, doivent faire face à la mise en doute de leurs paroles par des femmes très, ou trop, informées." Qu'une femme soit très informée ne peut être qu'une bonne chose. Qu'une femme soit "trop" informée... On appelle les associations féministes au secours scéance tenante ! On ne peut qu'espérer que Laure Pelé voulait dire : "mal" informées, "mal" pouvant signifier pas assez ou avec de fausses informations, mais sa formulation est pour le moins malheureuse.

C'est bien ce que met en avant l'introduction du mémoire de fin d'étude de sage-femme de Gabrielle Chenais :\\ http://www.cngof.asso.fr/D_TELE/2007_tours_mem_sf_chenais.pdf

Ce qui inquiète les sages-femmes ce sont les femmes qui viennent avec de fausses informations. On peut s'étonner aussi que certaines d'entre elles ne soient pas venues avec de bonnes informations, surtout à propos de l'épisiotomie... mais peut-être n'est-ce qu'une minorité. L'autre problème pour l'exercice de la profession de sage-femme serait la remise en cause de leur savoir médical qui rend plus difficile qu'autrefois l'établissement du lien de confiance. Il est possible que certaines femmes enceintes viennent à une consultation avec des "informations" du type croyances difficiles à défaire pour les sages-femmes. Néanmoins les internautes lambda n'ont pas l'apanage des croyances, on en trouve aussi certaines chez les professionnels - que l'épisiotomie systématique prévient les déchirures graves, qu'il faut couper le cordon tout de suite - que les nouveaux-nés ne ressentent pas la douleur... Ce décalage entre usagers et professionnels vient aussi de l'augmentation générale du niveau d'études et de connaissances des gens, des premiers pas vers une démocratie sanitaire active, et de la reconnaissance par les neurosciences des informations apportées par les émotions et l'empathie : toute mère "sait" que son nouveau-né ressent la douleur, seule la question "comment" relève de la science. C'est la notion même de confiance entre la sage-femme et la femme enceinte qui change. D'un lien vertical où la femme enceinte se remet entièrement à la prise en charge du soignant, on passe vers un lien horizontal de partenariat dans lequel chacun a des informations pertinentes à délivrer à l'autre. Cela implique parfois une remise en cause du savoir des soignants pas forcément facile à vivre (mais aucun livre ni aucun cours magistral n'est parole d'Evangile), une prise d'autonomie des usagers pas toujours facile non plus, qui devrait se traduire par une redistribution plus équitable des responsabilités.

Dans la seconde partie de l'article du Parisien, L. Pelée indique que les femmes qui vont beaucoup sur les forums et sites internet sont plus stressées que les autres, à cause de la multitude d'avis qu'elles trouvent sur internet. Dans son mémoire, G. Chenais n'est pas aussi catégorique, ce serait plutôt une hypothèse de travail. Il est permis d'avoir un gros doute. Qui de l'oeuf ou de la poule ? Les femmes sont-elles stressées à cause des avis multiples d'internet, ou bien ne sont-ce pas les femmes stressées qui passent le plus de temps sur internet pour trouver des réponses à leurs angoisses ? Cette dernière hypothèse aurait mérité davantage de considération. Les femmes enceintes ont toujours beaucoup échangé, avec leur famille, les voisins, les commerçants de quartier, ou les autres femmes enceintes rencontrées quelque part y compris dans l'autobus ou le train. Et ce faisant elles ont toujours obtenu des avis ou des vécus contradictoires sur certains points. Internet y change-t-il quoi que ce soit ? Pas grand-chose, si ce n'est l'impression d'une légitimité due à la modernité de l'outil. On peut dire sans rougir (ou presque...) "J'ai trouvé cette info sur le net", tandis qu'on n'ose pas dire à la sage-femme : "La boulangère m'a dit que".

Dans son mémoire G. Chenais a aussi traqué les fausses informations diffusées sur le net. Il y en beaucoup, certaines consternantes. On ne peut qu'applaudir cette initiative. Ce n'est néanmois pas tout à fait une première puisque le site Information sur l'Episiotomie http://www.episiotomie.info s'en est fait une spécialité (sur ce sujet particulier), et que le CIANE? vient d'ouvrir un forum de discussion sur ce thème http://forum.naissance.asso.fr. Sur les sites d'information grand public les articles sont souvent écrits par des médecins ou des sages-femmes. Il y aurait donc quelques remises à jour à faire au sein même des professions médicales.

L'un des exemples de fausse information donné dans le mémoire prête à discussion. Elle cite cette phrase du site enfant-magazine : "En cas de diabète gestationnel, la tendance actuelle est de programmer une césarienne avant terme". A cela sont opposées des recommandations de pratique clinique (issues de "L'obstétrique pour le praticien"). Or le site enfant-magazine ne prétend pas dire ce qui devrait être fait (appliquer les recommandations), mais ce qui est réellement fait en pratique (la tendance actuelle). D'après l'association Cesarine http://www.cesarine.org il y a en effet beaucoup de femmes avec un diabète "gestationnel"(*) qui se sont vu imposer une césarienne avant terme (au sens 41 SA), parfois même au seuil de la prématurité. Il faut donc bien distinguer l'idéal des recommandations de la pratique courante.

Finalement G. Chenais conclut son mémoire sur l'annonce de l'ouverture prochaine d'un site internet grand public rédigé par des sages-femmes et des médecins, mettant l'accent sur l'exactitude des informations délivrées, les références, l'absence de conflit d'intérêt des auteurs, et qui serait certifié par l'un des labels internet de qualité existant (HON, URAC, etc...). Nous saluons cette initiative, bien qu'elle existe déjà partiellement sur les sites du _CNGOF et du _SYNGOF. Par contre cela n'empêchera pas les femmes de continuer à bavarder sur internet ou avec les voisines, for heureusement d'ailleurs car tout être humain normalement constitué a besoin de pouvoir discuter librement avec qui il veut, fût-ce de futilités. J'en profite pour rappeler que les sites de l'espace CianeWiki : http://wiki.naissance.asso.fr sont certifiés HON (Health On the Net).

Relevons une double erreur dans ce mémoire : celle sur l'adresse du site de l'AFAR? http://afar.info et l'affirmation infondée que sa base de données bibliographique serait réservée aux seuls membres. En réalité c'est la seule base de donnnées trilingue de cette envergure accessible à tous les internautes et alimentée coopérativement par des chercheurs bénévoles ! Il suffit de cliquer sur le lien dans la colonne droite de la page d'accueil.

Le mémoire de G. Chenais traite un thème original et très intéressant, basé sur un gros travail d'analyse de 1000 questionnaires remplis par les internautes. Je lui souhaite une bonne continuation dans son métier, surtout si c'est elle qui met en place le nouveau site internet.

Cécile Loup
Pr. de l'AFAR
Porte-parole du CIANE

9 février 2008

(*) Le terme "gestationnel" disparaitra dans les RCPs de la HAS sur le déclenchement après 37 SA au profit de "diabète stabilisé" ou "non stabilisé", publication dans quelques mois.